28 Novembre 2010
Septembre 2009 : Le retour sur Paris me semble irréel. Je suis complètement dans le brouillard et épuisée…J’ai vécu tellement d’émotions intenses pendant ces deux mois de vacances que ma tête est en stand by. Je traine une lassitude désespérante…Mon moral est en berne…
Je reprends le boulot sans trop de conviction…Le quotidien reprend sa place de manière irrépressible…Je crois que je n’ai jamais autant subi ma vie sans réagir. Je reste inerte à regarder les journées se dérouler devant mes yeux sans plus rien ressentir, toutes mes écoutilles sont fermées…Mon esprit est au repos total, ne plus penser à rien…Surtout ne plus se prendre la tête…
Je sais que mon couple est au bord du gouffre, mais je me refuse à penser à une séparation. J’ai passé cette année à me remettre en question, à avancer pour mieux reculer, à essayer de refouler mes peurs les plus profondes, à me battre pour rien…Au final, je me suis épuisée à la tache pour quel résultat ? Aucun ! Me voilà de nouveau au point de départ…Je ne l’aime plus, mais je n’ai pas la force de le quitter…Je n’en peux plus de ce cercle vicieux qui me laisse à bout de force. Alors à contre cœur, je prends la décision de fermer les yeux, d’arrêter de me battre et de rester dans cette vie qui m’épuise…Je décide de sacrifier mes envies, de continuer à m’oublier moi-même pour préserver mes enfants. Je décide de me consacrer totalement à mon rôle de mère et de m’y tenir aussi longtemps que je le pourrai…
Mon mari, quant à lui, reprend son rôle de père et de mari parfait comme à chaque fois qu’il sent le vent tourner…Il rentre tôt, s’occupe des enfants, devient un accro du ménage et m’offre régulièrement des bouquets de fleurs…Que les apparences peuvent-être trompeuses. Son comportement m’exaspère au plus haut point, je ressens de multiples émotions qui grondent à l’intérieur de moi, mais je les anesthésie en mangeant, je capitule…Ma vie me semble tellement vide de sens que je me replie sur moi-même sans essayer de lutter contre quoique ce soit….
Au bout du rouleau, c’est donc avec impatience et plaisir que je retrouve ma psy. Une réelle confiance s’est installée entre nous deux et elle a une façon de m’écouter et de me soutenir qui me fait du bien…Son degré d’empathie est inestimable à mes yeux et me permet de ne pas sombrer complètement. Durant la séance, elle cherche à comprendre pourquoi je suis abattue à ce point et surtout quelle est l’émotion qui se cache derrière mon mal-être persistant.
J’énumère la tristesse, la peur et tous les sentiments qui s’y apparentent. Elle me demande à chaque fois d’exprimer ce que je ressens corporellement, mais ça reste encore très difficile pour moi de trouver les bonnes sensations, je m’y perds complètement. Alors elle me demande de rattacher mes émotions à un événement semblable que j’ai pu vivre dans le passé afin d’identifier mes ressentis, mais même comme ça, mon esprit se bloque.
Après plusieurs échecs, elle finit par me dire :
_ Je crois savoir quelle est l’émotion qui vous perturbe autant…
_ Ah oui ! Laquelle ? Parce que moi, je suis complètement perdue…
_ C’est tout simplement la colère…
_ La colère !!! Mais pourquoi je suis mélancolique et lasse à ce point alors ? Je lui demande surprise…
_ Tout simplement parce que vous refoulez tellement votre colère qu’elle s’exprime d’une autre manière. En fait, vous n’arrivez pas à capter votre colère, votre corps doit donc redoubler d’efforts pour vous envoyer de nouveaux signaux afin de vous faire prendre conscience de cette colère. Mais comme vous ne prenez toujours pas en compte ces signaux, votre corps doit vous envoyer des signaux encore plus forts, mais vous continuez quand même à refouler cette colère qui du coup, par dépit va se transformer en peur, angoisse, tristesse, mélancolie, lassitude ce qui créent chez vous un mal être constant.
_ C’est impressionnant ce que vous me dites, ça veut dire que je refoule tellement ma colère que mon comportement me crée d’autres émotions.
_ Oui exactement, votre corps, pour être bien, doit absolument évacuer cette colère, il tente donc par d’autres moyens de vous faire réagir en créant tout un tas d’émotions satellites qui au final, font que vous êtes complètement débordée par ces émotions et vous ne savez plus où vous en êtes.
_ Qu’est ce que je peux faire alors ?
_ Il faut absolument verbaliser votre colère dès le départ avec des mots simples et sincères face aux personnes concernées. Vous avez même le droit de l’exprimer physiquement en claquant une porte, en criant un bon coup ou en vous défoulant sur un coussin. Mais il va falloir apprendre à l’évacuer tout de suite, sur le coup. Sinon votre corps aura toujours besoin de sortir l’artillerie lourde pour vous faire comprendre vos colères refoulées et vous allez être de plus en plus anéantie par toutes ces émotions satellites qui vont vous pourrir la vie au jour le jour et risquent d’entrainer une dépression grave.
_ Je comprends mieux ces états bizarres où j’ai l’impression d’être ensevelie sous des émotions que je ne comprends pas.
_ Maintenant, ce que j’aimerai travailler avec vous : C’est pourquoi vous refoulez cette colère ? Quel est le schéma qui s’est ancré en vous ? Vous avez une idée ?
_ Ce que vous voulez dire, c’est dans le passé qu’est ce qui m’a poussé à nier ma colère ?
_ Oui, exactement. Comment étiez-vous petite ? Est ce qu’il vous arrivait de faire des caprices, des colères ?
_ Franchement je ne m’en souviens pas, j’étais plutôt une petite fille modèle. Je ne crois pas que j’aurai osé faire des colères devant mes parents.
_ Et pourquoi vous n’osiez pas ?
_ Je ne sais pas…Simplement parce que ça ne se faisait pas…
_ Et vos enfants, ils font des colères ?
_ Oui bien sur comme tous les enfants !
_ Alors pourquoi pas vous ?
_ Euh…Je ne sais pas…
_ Quelles étaient vos relations avec votre frère ?
_ Comme tout frère et sœur, on se chamaillait beaucoup, nous avions cinq ans d’écart, donc ça n’était pas toujours facile. Mon frère était toujours derrière mon dos, il surveillait tous mes faits et gestes et ne me laissait jamais tranquille.
_ Et que faisaient vos parents dans ces cas là ?
_ Rien, il laissait mon frère avec moi, même quand je recevais des copines et que j’avais envie d’être seule. Ils me disaient qu’il était trop petit pour comprendre. Du coup mon frère en profitait pour s’incruster dans ma chambre tout le temps et me caser les pieds.
_ Quand vous vous disputiez avec votre frère que faisaient vos parents ?
_ Ils se fâchaient contre moi en me disant que j’étais la plus grande et que je devais montrer l’exemple…
_ ça vous mettait en colère quand ils vous disaient ce genre de choses ?
_ Oui énormément !
_ Et comment l’exprimiez-vous cette colère ?
_ En fait, je ne disais rien parce que j’avais l’impression que quoique je dise, ça ne changerait rien, alors j’ai fini par me faire une raison et me taire…
_ J’ai comme l’impression que votre mère a surprotégé votre frère comme on en a déjà parlé à cause de sa maladie et vous a donc un peu délaissé. C’est comme si votre frère avait tous les droits et vous, vous deviez être sage et obéissante.
_ Oui, il pouvait me pourrir la vie autant qu’il voulait, moi je devais me taire parce qu’il était plus petit. Comme j’étais l’ainée, c’était toujours de ma faute, ma mère prenait à chaque fois sa défense.
_ Du coup, vous avez pris l’habitude de refouler vos colères puisque de toutes les façons, elles n’étaient pas entendues par votre mère. Et à force de les refouler, vous avez fini par les retourner contre vous-même en les anesthésiant avec la nourriture.
_ Oui c’est possible
_ J’ai l’impression que le problème s’est accentué depuis que vous avez rencontré votre mari et que vous avez eu vos enfants parce que vous avez continué à refouler vos colères de plus en plus, ce qui a entrainé une dévalorisation de vous-même, une perte de confiance jusqu’à vous trouver nulle en tant que femme et mère….
_ C’est vrai…
_ J’ai remarqué aussi que vous avez tendance à trouver des excuses aux personnes contre qui vous êtes en colère et à reporter la faute sur vous. D’où cette irrépressible envie de manger pour combler toutes ces colères refoulées qui créent chez vous un mal être constant.
_ Oui peut-être…
_ Je sens une émotion qui monte là…J’ai l’impression que ce que je vous dis, vous touche beaucoup…Je me trompe ?
_ Oui, je la sens aussi…
_ Alors laissez là venir doucement…
_ J’essaie…Mais…Non j’y arrive pas, je ne comprends pas, j’ai vraiment envie de pleurer, mais tout se fige en moi…
_ Vous n’êtes pas encore prête à lâcher prise, c’est tout…
_ Oui…Mais c’est tellement frustrant d’avoir les larmes aux yeux, la gorge nouée et puis en fait rien, rien ne veut sortir…
_ Ne soyez pas si exigeante avec vous-même, ça viendra en temps et en heure…C’est juste un schéma ancré en vous, qu’il va falloir inverser. Vous voulez que l’on arrête là ?
_ Non c’est bon…ça va aller…
_ Alors Maintenant, j’aimerai que vous transposiez cette manière que vous avez de nier votre colère avec les événements qui viennent de se passer entre votre mari, sa famille et vous.
_ C'est-à-dire ?
_ Qu’avez-vous ressenti quand votre mari est réapparu au bout de trois jours ?
_ De la colère…
_ Vous l’avez exprimé cette colère ?
_ Oui, elle est sortie très violement contre mari d'ailleurs.
_ Vous voyez que vous êtes capable de l’exprimer cette colère quand vous vous en donnez les moyens.
_ Oui c’est vrai…
_ Et contre sa famille ? Vous m’avez dit que vous étiez aussi en colère par rapport à leur manque de réaction.
_ Oui énormément
_ Leurs avez-vous dit ?
_ Non
_ Pourquoi ?
_ Parce que j’ai l’impression que quoique je dise, mon mari a tous les droits et tout lui sera pardonné…
_ Ça ne vous rappelle rien ?
_ Si le comportement de ma mère avec mon frère…
_ Voilà pourquoi vous êtes si lasse parce que ce que vous avez vécu cet été, c’est ce qu’Isabelle Filliozat appelle un élastique. C’est une situation émotionnelle qui vous a marqué et fragilisé quand vous étiez petite et qui se reproduit différemment dans le présent mais avec les mêmes sensations et du coup inconsciemment vous réagissez comme dans le passé. Pour votre cas, c’est de baisser les bras en refoulant votre colère parce que vous pensez qu’elle ne sera pas entendue par votre belle famille.
_ Oui c’est ça, j’ai l’impression que quoique je fasse, il sera toujours le fils bien aimé et moi la coupable.
_ C’est vous qui vous enfermez dans ce rôle de coupable parce qu’il vous rassure et vous permet de refouler inconsciemment votre colère.
_ Peut-être…
_ Je pense que l’on va axer les prochaines séances sur la colère et sur l’affirmation de soi…Il faut absolument que vous arriviez à mettre des mots précis sur vos colères afin de les exprimer librement…
_ En sortant de chez elle, je suis frustrée parce que j’avais vraiment besoin de pleurer, d’ouvrir les soupapes, de déposer ma colère et ma souffrance, mais mon inconscient a tellement lutté pour ne rien lâcher que je suis épuisée…En plus, j'ai toujours cette boule dans la gorge qui contient tous mes non-dits...Ma psy a réussi à mettre des mots sur mon mal-être, mais cette Satanée colère reste éternellement bloquée en moi…